New York, les Vikings, la mort et la résurrection

Loin, bien loin de Bourbon ou des forêts congolaises, Paul Belloni Du Chaillu sillonne la Scandinavie à la fin des années 1870. Et il publie, encore.

 

 

Deux ouvrages paraissent ainsi en 1881 et 1884. D’abord The Land of the Midnight Sun (Le pays du soleil de minuit), dont le succès divise les spécialistes. Un flop pour notre historienne Annie Merlet, un grand succès populaire selon un homologue américain. Puis trois ans plus tard, Un hiver en Laponie. Voyage d’hiver en Suède-Norvège, en Laponie et dans la Finlande septentrionale.

En 1889, l’explorateur récidive, avec cette fois un ouvrage qui surpasse le simple récit de voyage. The Viking Age est un véritable traité scientifique en deux volumes qui contient un millier de cartes et d’illustrations. Une fois de plus, les théories qu’il y exposent divisent la communauté scientifique. À rebours des écrits habituels, il prétend par exemple que les Saxons n’ont jamais envahi l’Angleterre. Trois ans plus tard, il en tire un roman de fiction intitulé Ivar the Viking dont le succès en librairie nous est encore aujourd’hui inconnu.

Tous ces ouvrages sont en tout cas écrits depuis New York où notre aventurier a posé ses valises entre deux explorations.

Du Chaillu avait aussi fait un peu de figu’ dans des clips du Wu Tang.

Lorsqu’il ne voyage pas, Du Chaillu fréquente l’intelligentsia de Manhattan. Parmi ses amis, un certain Julian Hawthorne, mi-journaliste mi-escroc, ou la grande chanteuse Marie Barnard. Le Réunionnais côtoie également des artistes peintres, des magistrats, des journalistes, des musiciens etc. Puis se prend de passion pour la langue russe qu’il apprend rapidement. En 1901, alors qu’il accuse déjà soixante-dix ans, P.B. Du Chaillu (comme il se nomme aux États-Unis) est envoyé en Russie par le New York Times. Il devient le correspondant spécial du prestigieux journal et rencontre dans ce cadre le Tsar Nicolas II après avoir déjà été reçu lors de voyages précédents par les rois de Suède et de Norvège.

Cette longue expédition russe sera cependant la dernière. Le 30 avril 1903, alors qu’il réside à l’hôtel de France à Saint-Petersbourg, notre aventurier désormais âgé fait un malaise en début de matinée. Il décède le soir-même à l’hôpital. Son corps est embaumé, puis exposé lors d’une cérémonie funèbre trois jours plus tard. La dépouille de l’explorateur est finalement embarquée sur un bateau et ramenée à New York où ses amis organisent une chapelle ardente. P.B. Du Chaillu est in fine inhumé au Woodlawn Cemetery, dans l’actuel quartier du Bronx. Sa tombe spectaculaire est gravée selon ses volontés : “Author and african explorer, Born in Lousiana in the year 1839, Died at St-Pertersbourg, April 16 1903″. Rappelons que P.B. Du Chaillu est en réalité né à La Réunion le 31 juillet 1831. Et que s’il est bien mort en Russie, ce n’était pas le 16 avril, mais le 30.

 

Sa mort, un événement uniquement aux USA.

 

Sa disparition est en tout cas un événement dans la bonne société américaine. De hautes personnalités scientifiques assistent à son hommage. Le New York Times le salue dans son édition du 5 juillet 1903 où il apparaît que notre aventurier est d’ailleurs mort totalement ruiné, sans descendance ni famille.

Walter White.

À la Réunion, cette histoire est bien sûr complètement ignorée. En France, seules quelques rares revues spécialisées la mentionnent. On trouve ainsi quelques lignes dans les Annales de Géographie de l’année 1903, page 370 : “Paul Du Chaillu, qui vient de mourir un peu oublié à Saint-Petersbourg fut un des premiers explorateurs du Congo Français” y glisse-t-on en préambule. L’année précédente, quelques obscures géographes français se disputaient encore sur la véracité de ses découvertes en Afrique Équatoriale dans un ouvrage. Il faudra donc attendre des décennies pour que la science rétablisse son honneur intellectuel. Et le réhabilite en pionnier de l’ethnologie et de la zoologie.

Aujourd’hui, un massif montagneux à la frontière du Gabon et du Congo porte son nom. Aux États-Unis, des vidéos sur Youtube montrent des jeunes filles qui jouent et se déguisent en Du Chaillu l’explorateur ou préparent des exposés pour l’école (voir video ci-dessous). En France, le CNRS a monté en 2007 une ambitieuse expédition sur ses traces pour tenter d’expertiser ses découvertes. Avec en point d’orgue la publication de l’ouvrage déjà cité ici, sous la direction de Jean-Marie Hombert et Louis Perrois : Cœur d’Afrique, gorilles, cannibales et Pygmées dans le Gabon de Paul du Chaillu.

Dans le Journal des Africanistes paru en 2008, Philippe Laburthe-Tolra résume ainsi cette réhabilitation posthume rendue par les différents chercheurs de la mission : “R. Pourtier vante la remarquable intelligence géographique, l’exactitude dont Du Chaillu fait preuve en rendant compte des paysages et surtout du climat du Gabon occidental. Les naturalistes J.P. Gautier et P. Christy célèbrent l’explorateur chasseur qui découvrit, outre le gorille, le Potamogale velox (sorte de loutre), le Funisciurius duchaillui (petit écureuil volant), une espèce de genette, plusieurs sortes d’insectes, 39 nouvelles espèces d’oiseaux dont la pintade noire de forêt et le barbican à taches jaunes (Buccanodon duchaillui).”

 

Il n’a pas amélioré la mitrailleuse sur les avions, au moins.

 

Pour le Journal des Africanistes, la mission du CNRS rend hommage au pionnier de l’éthologie et de l’écologie, observateur sur place des mœurs et comportements des grands singes végétariens aussi bien que des fourmis magnans ou des termites, des combats entre léopard et buffle ou léopard et potamochère, notant aussi la raréfaction des éléphants déjà due à la chasse, les variations saisonnières des crocodiles, les interactions complexes entre espèces. Par ses qualités de patience, de résistance et d’exactitude, Du Chaillu reste exemplaire.”

Les hommages sont nombreux. Les auteurs louent la largeur d’esprit et la finesse dufils du Chaillu, sa maîtrise des langues, sa liberté étrangère à l’appât du gain ou de la domination.” Notre aventurier réunionnais est même considéré comme le premier Occidental à s’intéresser à l’art rituel africain.” Il est également qualifié de précurseur en santé et épidémiologie pour avoir fait un usage préventif et curatif de la quinine.

L’étude de ce destin et de ce curriculum vitae laisse songeur. Et démontre qu’à l’heure où la mobilisation bat son plein pour faire entrer Roland Garros au Panthéon, d’autres héros péi méritent sans doute un minimum de curiosité et de considération.