Une trouble enfance de bâtard

Peu de personnalités réunionnaises auront autant semé le trouble sur leur idemntité, leurs origines, leurs racines. Au point qu’il aura bien fallu attendre des décennies et de fastidieux travaux de recoupement pour éclaircir le premier de ses mystères. Oui Paul Belloni Du Chaillu est bien né à Bourbon, en 1831. Pas à Paris, comme bon nombre d’auteurs l’ont suggéré. Ni à la Nouvelle-Orléans, comme lui même l’a proclamé jusqu’à sa mort. Nulle part ailleurs qu’à Saint-Denis, de l’union entre une “mulâtresse” (selon le terme en usage de l’époque) et un commerçant esclavagiste.

Joseph Desbassayns et toute la famille ne s’entendaient pas vraiment avec Duchaillu père.(source)

 

1830, à Bourbon. Plus de quarante-cinq mille esclaves sont arrivés dans l’Île en moins de quinze ans. La culture de la canne à sucre bat son plein. Officiellement interdite dans les colonies françaises, la traite n’a jamais cessé ici, très largement tolérée, pour ne pas dire encouragée, par les autorités locales. Pourtant, avec la chute de Charles X à Paris, la fin de la Restauration et l’avènement de la Monarchie de Juillet, la tendance s’inverse progressivement. La traite est désormais combattue outre-mer et les trafiquants commencent à trinquer. Parmi eux, un certain Du Chaillut ou Duchaillu, Claude-Alexis de son prénom. Originaire de Bourgogne, le trentenaire est arrivé quelques années auparavant sous les tropiques, engagé dans l’infanterie de marine. Avant de quitter rapidement la garnison de Saint-Denis pour se lancer dans le commerce. De chapeaux officiellement et d’esclaves à l’occasion.

Fils, petit-fils, arrière-petit-fils de négociants, il est rompu aux affaires et fait fortune, sans pour autant faire preuve de discrétion. Agitateur politique, proche du mouvement des francs-créoles, le Bourguignon dérange l’establishment et s’attire l’hostilité des grandes familles, Desbassayns et Villèle en tête. Il enchaîne alors les embûches judiciaires puis commet l’erreur de trop : un bateau de sa propriété est arraisonné au large de Bourbon avec plus de cent cinquante esclaves à son bord. Sommé de les reconduire immédiatement au Mozambique, Duchaillu s’exonère de ses obligations. Le navire et sa “cargaison” disparaissent dans des conditions pour le moins obscures. L’affaire fait scandale jusqu’à Paris. Le gouverneur Duvald’Ailly et le Conseil privé décident de bannir l’incontrôlable trafiquant. 

Le 5 juillet 1831, celui-ci embarque donc sur le bateau le Navarin en direction de Nantes. L’histoire des Duchaillu de Bourbon pourrait s’arrêter là, peu glorieuse. Pourtant, à la faveur d’une relation éphémère avec une “mulâtresse” dyonisienne, juste avant son départ, l’homme va donner à Bourbon l’un de ses plus illustres enfants. Sans doute le moins reconnu aussi. Duchaillu est ainsi déjà loin lorsque naît Paul, le fils de cette union. La mère du bébé, fille Belloni, ne prendra pas la peine de lui donner le nom de son père. Pas vraiment prestigieux, après l’affaire du bateau disparu. Pas vraiment utile non plus puisque le géniteur a déserté.

S’en suit alors une période trouble. Pas la moindre trace de l’enfant jusqu’en 1840.  Sa mère est entre-temps décédée et l’esclavage a été rétabli. Et avec lui sont revenus quelques accros au trafic d’esclaves… le père Duchaillu parmi les premiers.

 

Taxidermiste, pour commencer.

 

Claude-Alexis est en effet de retour à Bourbon, où il fonde une nouvelle famille. Mais ce deuxième séjour est bref. En 1843, les Duchaillu reprennent la mer. Surprise : le petit Paul, devenu adolescent, est aussi du voyage. Comment a-t-il été présenté à son père ? Nul ne le sait. Mais son départ pour Paris est attesté. Le jeune métisse et son statut d’enfant bâtard, illégitime, débarquent dans l’Hexgone dans le sillage d’un père en pointillé, jamais vraiment présent. Celui-ci reprendra d’ailleurs bientôt la mer, cette fois pour la côte ouest de l’Afrique où il installera le Comptoir nantais du Gabon.

Jules-Pierre Verreaux, taxidermiste, ornithologue, entre autres. (source)

Durant cette période trouble, le fils créole reste à Paris. Dans la capitale, Hugo, Chateaubriand ou Tocqueville rayonnent dans la presse et la littérature tandis que le pays poursuit son expansion coloniale. Les débats politiques sur la question sont vifs mais le petit Bourbonnais n’en a pas encore conscience. Il apprend, à l’époque, le métier de taxidermiste auprès de Jules-Pierre Verreaux, un botaniste et ornithologue de renom. De ce patron voyageur ou de son père pseudo nomade, difficile de savoir qui donne au jeune Paul le goût de l’aventure et de l’exotisme. Quoi qu’il en soit, le garçon quitte rapidement la capitale pour rejoindre à son tour le Gabon. Nous sommes exactement en 1848. En cette année charnière, Victor Schoelcher rédige un nouveau décret d’abolition de l’esclavage en France et dans ses colonies. Au même moment, Paul aborde, lui, un continent ravagé par la traite. Il va d’ailleurs s’évertuer tout de suite à gommer ses racines captives et son ascendance métisse. Dans un ouvrage postérieur, il s’en expliquera ainsi : “Être né d’une mère esclave est une défaveur qui retire à l’enfant une grande partie du respect et de l’autorité dont jouissent ses compagnons, et cela quoique cet enfant soit en réalité né libre.” Sa mère n’est probablement pas née esclave mais c’est ainsi qu’il la perçoit.

Quand il pose le pied en Afrique, le jeune Duchaillu efface son métissage. Mais son étiquette de “quarteron” le rattrapera bien des années plus tard, au sommet de sa gloire. Sa “négritude cachée” apportera de l’eau au moulin de ses détracteurs. Et contribuera à sa disgrâce intellectuelle.

 

À suivre : Épisode 2 – Un créole américain au Gabon