Un Créole américain au Gabon

D’amitiés improbables en audaces aventurières, Paul Duchaillu entame une incroyable mue intérieure et intellectuelle. Il endosse le nom de son père pour mieux s’éloigner de ses origines mais y accole plus tard le nom de sa mère (voir épisode précédent). Il se trouve une nouvelle famille, change de religion, s’adjuge une nouvelle nationalité puis aiguise ses armes d’explorateur et de naturaliste à sensation.

 

Gravure représentant le roi Denis Rapontchombo et sa compagne (1865) / Wikipedia

En 1848, le Gabon subit depuis moins de dix ans une forte influence française. Depuis précisément la signature d’un traité entre le roi Mpongwè Denis Rapontchombo et un officier de marine breton. La capitale, Libreville, n’existe pas encore. Elle naîtra bientôt du naufrage d’un bateau négrier dont les Français rapatrieront les survivants dans un village appelé à grandir pour régner sur le pays. En attendant, Paul, le jeune bourbonnais fraîchement débarqué de Paris, travaille sur la côte auprès de son père, Claude-Alexis Duchaillu, qui commerce avec l’intérieur des terres. Du bois et de l’ivoire contre des tissus, des armes ou des verroteries. Mais trop souvent absent, le père confie bientôt le fils à la mission catholique.

John Leighton Wilson (Mémoires / 1895 / Wikipedia)

Paul n’y trouve pas grand intérêt et lui préfère la mission voisine, protestante et américaine. Le pasteur John Leighton Wilson et sa femme Jane l’accueillent chaleureusement, l’instruisent, lui trouvent même un emploi de greffier et magasinier. Pour la première fois, le nom de Duchaillu lui est officiellement attribué, sans reconnaissance paternelle, d’un simple trait de plume sur un document d’entreprise. Mais cette première expérience professionnelle tourne court et le jeune Paul se rapproche de nouveau de son père avec qui il explore parfois l’arrière-pays.

 

À la chasse avec papa

Pendant que l’insurrection républicaine enterre la Monarchie de Juillet à Paris, que l’esclavage est officiellement aboli chez lui à Bourbon, redevenue La Réunion, Paul enchaîne les parties de chasse sur les rives des fleuves gabonais avec son géniteur. Les prises qu’il en tire lui permettent d’ailleurs de renouer avec son premier métier : la taxidermie. Paul Duchaillu devient naturellement le correspondant africain de son premier patron. Il expédie une, puis deux cargaisons d’animaux empaillés à Paris. Et entre deux expéditions, Paul réside le plus souvent chez les Wilson.

À leur côté, le jeune homme apprend l’anglais et se convertit même au protestantisme. Chez ces anti-esclavagistes militants il côtoie également dans la mission de nombreux jeunes de l’ethnie Mpongwe avec lesquels il s’initie à la langue locale, le Myéné. Une première approche ethnologique pour le jeune Bourbonnais qui découvre une culture riche et un mode de vie différent.

 

À Paris, des dettes. À La Réunion, la variole.

Autographe de P. B. DU Chaillu (1883)

À l’époque, le commerce transcontinental reste néanmoins aléatoire et lorsque l’une de ses cargaisons d’animaux africains se perd entre Libreville et Paris, le jeune Paul doit se rendre en France pour s’expliquer avec ses créanciers, qu’il ne peut pas rembourser. En vain. À la fin de l’année 1851, alors que Louis-Napoléon Bonaparte vient de commettre son coup d’État à Paris et que la variole ravage son île natale, Paul Duchaillu tente un coup de poker : il profite de son séjour dans la capitale pour solliciter l’octroi d’une concession de café au Gabon. Toujours sans succès. Il regagne donc Libreville avec ses dettes et la seule confiance du pasteur Wilson, dont le réseau en Amérique va lui être utile. Sur ses recommandations, le jeune aventurier-taxidermiste s’embarque pour la côte est des Etats-Unis.

À New York, c’est une nouvelle page qui s’ouvre devant lui, vierge de tout échec et de toute frustration. Pour l’occasion, sans l’expliquer le moins du monde, Paul Duchaillu devient Paul Belloni Du Chaillu. Recouvrant au passage le nom de sa mère réunionnaise, presque vingt ans après sa mort. Il officie alors comme répétiteur dans un collège pour jeunes filles. Puis commence à raconter ses aventures gabonaises. Des sommets d’exotisme qui lui valent notamment des publications dans le New York Tribune et quelques invitations de prestige. Peu après son arrivée, il rencontre en particulier l’ornithologue John Cassin à l’Académie des Sciences naturelles de Philadelphie. Les deux hommes sympathisent et la collection africaine de Belloni Du Chaillu rejoint le musée de Pennsylvanie.

Cette collaboration lui est précieuse. Elle lui sert de caution pour se lancer véritablement dans le métier : avec l’appui d’une institution scientifique américaine, notre jeune aventurier peut prétendre à de véritables explorations naturalistes. Et plus encore s’il devient un honnête citoyen américain. C’est du moins ce qu’il va prétendre.

Il s’invente à cet effet une naissance en Louisiane, de lointaine ascendance huguenote. Paradoxalement, en 1855, Paul Belloni Du Chaillu a, dans le même temps, récupéré le nom de sa mère créole et rayé d’un trait ses origines réunionnaises. Il revient en tout cas au Gabon auréolé d’un nouveau statut. En décembre 1855, un créole faussement américain débarque  à Libreville. Son père y meurt au même moment, sans que les deux hommes ne se soient, semble-t-il, revus.

Cigognes et Pélicans à Fernan Vaz (1858)

Commence alors une longue série d’explorations scientifico-commerciales. Il récolte d’abord dans la région proche des animaux qu’il inventorie puis adresse à Philadelphie, où il consolide l’admiration de ses amis. Puis il se lance dans une première grande aventure au sud, dans le delta de l’Ogooué, proche de l’actuelle Port-Gentil. Au contact du peuple Orungu dont il maîtrise la langue (le Myéné), il multiplie les observations géographiques et anthropologiques, accroît encore ses collections zoologiques dont il abreuve ses partenaires américains. Bien qu’anti-esclavagiste, on soupçonne le néo-scientifique de faire voyager clandestinement certaines de ses cargaisons à bord de navires négriers.

En juillet 1856, il aborde l’île de Corisco (actuellement en Guinée-Équatoriale) puis remonte l’estuaire du fleuve Muni avant de pénétrer dans les Monts de Crystal, terre du peuple Fang. La réputation féroce de ce peuple, en réalité méconnu, a traversé les océans et les siècles. Et Du Chaillu n’y est sans doute pas étranger : dans ses carnets, il dépeint les locaux en farouches cannibales. Le mythe suprême qui lui garantit de faire sensation dans les bonnes sociétés occidentales. En 1857, et durant près d’un an et demi, il descend toujours plus au sud, pour explorer cette fois toute la région de la lagune Fernan Vaz. C’est ici qu’il fera bientôt la découverte de sa vie. La source, également, de tous ses ennuis.