Les autres, c’est des cons

Dans Requins à La Réunion, une tragédie moderne, l’auteur adopte la stratégie du dénigrement des opposants, en ignorant ou en caricaturant ceux qui n’adoptent pas son point de vue.

 

Qu’attendre d’un livre qui annonce vouloir “apporter un éclairage factuel à tous ceux qui manqueraient  d’éléments pour se positionner“ ? Eh bien, justement, des faits, des idées, des témoignages, venant nuancer le propos de l’auteur, voire le contredire, et incitant à la réflexion, à la prise de hauteur. Mais vous ne trouverez pas cela, dans Requins à La Réunion, une tragédie moderne : les avis qui divergent sont systématiquement ridiculisés, caricaturés, quand ils ne sont pas carrément ignorés. Le tout, évidemment sans explication : soit on est d’accord avec l’auteur, soit on est contre. Le tout dans un festival de sophismes.

Désolé, mais quand on parle de Didier Dérand, on ne peut s’empêcher de penser à ça… (source)

La technique la plus utilisée est celle de l'”idiot utile”, c’est-à-dire aller chercher, dans le camp d’en face (les personnes opposées à la pêche aux requins telle que prônée dans le livre, dans ce cas), les moins malins ou les plus extrêmes, et de les associer à l’ensemble des opposants. Ainsi, lorsqu’il parle de Didier Dérand, présenté comme une “figure de l’écologie locale” et ayant “décidé d’organiser plusieurs traversées en pleine mer” pour “prouver que l’on pouvait encore se baigner à La Réunion” : évidemment, à La Réunion, on se fiche pas mal de Dérand, de la fondation Brigitte Bardot qu’il représente, et même de la validité – nulle – d’une telle “expérience” de nage en mer. Mais pour l’auteur du livre, Dérand et son slip de bain sont des figures faciles à attaquer, d’autant que celui-ci, définitivement pas très finaud, a terminé une des ses sorties juste devant un club de surf qui était en train de boire un coup. Vraiment, plein de tact.

Plus commode encore, taper sur Sea Shepherd. Alors eux, c’est facile : adepte des actions médiatiques bien bourrines (écoutez le podcast ci-dessous), dirigée par un type décidément pas net, dont la section française est chapeautée par une dame franchement pas très polie ni diplomate et, pour l’anecdote, quasiment pas représentée à La Réunion, mais soutenue par des people américains, cette ONG a tout de la caricature.



 

Surtout lorsque Sea Shepherd, depuis l’Hexagone, joue avec les réseaux sociaux avec d’énormes sabots : alors que la communauté du surf pleure encore le décès de Matthieu Schiller, Sea Shepherd sort une affiche qui, sur le fond n’a peut-être pas tort, mais à ce moment précis, est l’illustration d’un manque de tact hallucinant, oubliant qu’en face d’elle, il y a des gens qui pleurent. Un manque de finesse confirmé par la tribune (relevée dans le livre) de la présidente de Sea Shepherd France. D’ailleurs, celle-ci s’en excusera maladroitement quelques jours plus tard, ce que l’auteur du livre ne précise pas : le méchant, il doit forcément être très méchant. Et plus il est méchant, plus l’auteur peut se victimiser.

Ça, c’est pour les “concurrents”, dans les associations. Mais il y a mieux : monsieur Nativel qui, apparemment, ne comprend rien à la science (nous nous étendrons plus longuement sur le sujet la prochaine fois), préfère décridibiliser les spécialistes, plutôt que leurs travaux. C’est tellement plus commode.

 

Il ne peut pas être surfeur, l’auteur ne l’a “jamais croisé”.

 

Une illustration parfaite, c’est le débat, qu’il rapporte justement dans son livre, qui l’a opposé au représentant d’une association de protection des requins et se basant sur la science pour proposer un avis, Fanch Landron, sur Réunion 1ere en 2011. Ce que l’auteur en dit dans le livre ? “Évidemment, mon “adversaire” s’était braqué, comme tous les  spécialistes, sur la position classique selon laquelle “le requin est un top prédateur, indispensable à l’écosystème, menacé par l’homme”.” Jamais Landron ne prononce cette phrase exacte, ce n’est donc pas une citation, comme pourrait le laisser croire l’auteur. De plus, un simple regard de la vidéo montrera qui, des deux protagonistes, se braque.

Toujours sur le sujet, il dit, dans son livre : “Je voulais savoir comment il réagirait face à l’étude de 1997 (Une étude très intéressante réalisée dans la baie de Saint-Paul et proposant, entre autres, des captures de requins, ndT). Il la connaissait, mais il la dénigrait puisqu’elle impliquait la mort de quelques requins afin de réduire le risque. Il s’agissait selon lui d’une étude “obsolète” puisque ancienne.” Non, Jean-François Raccourci. Fanch Landron, exactement, répond ceci : “Cette étude, de mémoire, date de 1997. Cette étude date de quatorze ans. Les biomasses de requins ont énormément changé depuis cette période. Maintenant, on a des nouvelles technologies qui permettent d’étudier les requins, des technologies nouvelles de ces dernières années qui sont utilisées à Sydney, qui sont utilisées au Canada, qui sont utilisées aux États-Unis, qui permettent d’étudier les requins sans forcément les capturer, ou les tuer.” Landron argumente, calmement, et ce n’est pas ce qu’on lit dans le livre.

En cadeau bonus, et parce qu’il n’a pas daigné nous raconter l’épisode dans son livre, monsieur Nativel s’est un peu énervé dans ce même débat, allant jusqu’à mettre en doute le fait que son contradicteur soit surfeur lui-même :

  • Jean-François Nativel : “Qui est en première ligne sur le front ? Les surfeurs. On est là pour se faire bouffer. Le jour où y aura plus de surfeurs parce que vous avez dénigré par vos propos, et par vos campagnes de lynchage…
  • Fanch Landron : Je ne dénigre pas du tout, je pratique aussi le surf.
  • Journaliste : Monsieur Landron est surfeur.
  • J.-F. N. : Monsieur Landron est surfeur ? Je l’ai jamais croisé, et ça fait vingt-cinq ans que je surfe !
  • F. L. : Je n’ai pas eu cette chance (sourire).”

Manifestement, c’est encore raté : on peut faire du surf et ne pas être d’accord avec monsieur Nativel ; au Tangue, on en a rencontré plein.

 

 

Pour les scientifiques, l’auteur réserve carrément un traitement de choix : s’ils ne sont pas d’accord avec lui, c’est parce qu’ils sont aveuglés par leur idéologie écolo : “Pour la première fois, j’avais l’occasion de discuter avec des scientifiques biologistes, de surcroît de renommée internationale. Cet échange fut particulièrement instructif, car je compris alors que la plupart des biologistes vénéraient le requin en tant que sujet d’étude, et à un point tel qu’ils n’avaient pas véritablement conscience de certaines conséquences sur le terrain.” Ou encore : “Ce type d’argument, présenté comme “émanant d’un expert indépendant” n’avait rien de surprenant. En effet, la communauté des scientifiques et des biologistes est dévouée à la protection des requins. Elle entretient des liens directs et étroits avec les ONGE conservatrices, notamment en termes de financement. Elle est, par conséquent, farouchement opposée à toute idée de pêche préventive.

Magnifiques procès d’intention : l’auteur ne s’attaque ici pas aux travaux, aux protocoles, à la méthode, mais bien uniquement aux personnes. Il ne lui vient même pas à l’idée que c’est après avoir constaté le résultat de leurs travaux que sont peut-être nées les idées écolos des Soria, Séret, Sarano et consorts… Que la science ne valide pas les scientifiques, mais bien leurs travaux, et qu’ils ont beau être militants, si leurs travaux sont faux, ils ne seront pas validés. En fait, qu’on peut être un gros con, mais produire de la connaissance.

Oui, l’auteur se moque d’une étude parue dans Nature. Fallait l’oser.

Globalement, de toute façon, l’auteur ne s’embarrasse pas à citer les études qui ne vont pas dans son sens ; elles sont pourtant légion. La stratégie est donc de les ignorer… ou de les rejeter d’un revers de la main. Un exemple ? Même deux. Il y a le cas d’une étude parue dans PLOS One (et pas “Plus” One, comme écrit dans le livre), dans laquelle l’auteur semble voir une manière de plus de protéger des requins, alors qu’il s’agit simplement de montrer leur rôle dans la préservations des coraux ; pire encore avec Nature, dont Nativel se moque carrément : “Une toute dernière étude du magazine scientifique Nature, parue en septembre 2015 venait d’attribuer aux prédateurs un rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique… parce qu’ils mangeraient des herbivores compliquant d’autant toute idée de régulation de ces espèces.” Notez les points de suspension moqueurs, évidemment insuffisants quand il s’agit, quand même, de réfuter une étude parue dans une des plus grandes et renommées revues scientifiques du monde.

Un auteur qui réfute des études parues dans des revues à comité de lecture parmi les plus prestigieuses du monde ? On veut lire ses arguments, et sur quoi il se base. Eh bien, ça arrive, dans la troisième partie.

Loïc Chaux

 


NB : Volontairement, nous ne discuterons pas des remarques que propose l’auteur sur les médias, et notamment sur les reportages de Rémi Tézier, ou celui diffusé dans Envoyé Spécial. D’une car nous ne voulons pas juger de la qualité – ou non – du travail de nos confrères, et, dans le cas de Rémi Tézier, car l’auteur développe quelques thèses complotistes (notamment sur le financement du reportage, et les conditions de tournage) dans lesquelles nous ne voulons pas rentrer, au risque d’augmenter le sentiment manifestement un peu parano de l’auteur du livre.

NB 2 : Monsieur Nativel peut bien évidemment nous faire parvenir ses remarques, que nous diffuserons bien volontiers dans le cas où elles viendraient contredire ce qui a été écrit sur le site. Nous tenons toutefois à préciser une nouvelle fois que nous ne nous sommes occupés que de vérifier ce qui était affirmé dans le livre, et de rien d’autre. Les témoignages qu’il nous fait parvenir n’ont donc absolument aucun intérêt dans le cadre de notre travail, quand bien même il s’agit du témoignage d’un biologiste spécialisé dans le revêtement cutané des poissons cartilagineux.