Si j’te l’dis…

Dans Requins à La Réunion, une tragédie moderne, l’auteur ne s’embarrasse pas vraiment de sources. Ça permet de dire un peu n’importe quoi, et de faire passer des vessies pour des lanternes. Mais puisqu’il le dit, c’est que ça doit être vrai…

 

C’est dit sur la quatrième de couverture : “Il s’agit d’apporter un éclairage factuel.” Sauf qu’au milieu des faits, justement, rapportés, l’auteur accumule les affirmations fausses qui, elles, ne sont évidemment pas sourcées. C’est bien commode, d’autant qu’il s’agit, comme nous allons le voir, de sujets essentiels.

Lorsque nous avons commencé à lire ce bouquin, nous avions lancé un décompte : combien de fois l’auteur allait-il affirmer que “la mer est interdite à La Réunion” (avec quelques variantes) ? On a arrêté à quinze…

Le 26 juillet 2013, donc, la Préfecture prend un arrêté, dont l’article 1 stipule : “La pratique de la baignade et des activités de surf ou de bodyboard est interdite jusqu’au 1er octobre 2013, dans la bande des 300 mètres du littoral du département de La Réunion, sauf dans le lagon et, en dehors du lagon, dans les espaces aménagés et les zones surveillées telles que définis par arrêté municipal […]” Cet arrêté est constamment reconduit jusqu’à aujourd’hui, avec peu ou prou les mêmes conditions. Répéter ad vitam un mensonge n’en a jamais fait une vérité : la mer n’est pas interdite à La Réunion. Plongeurs, plaisanciers, pêcheurs, kite surfeurs et même baigneurs continuent à profiter de la mer.

Son autre marotte, à l’auteur, est d’affirmer que La Réunion est l'”île la plus dangereuse du monde“. Voire carrément l'”endroit le plus dangereux de la planète“. On aurait aimé des sources, histoire de nous prouver qu’en effet, La Réunion est plus dangereuse qu’Ambae, par exemple, île du Vanuatu qui vient de devoir évacuer ses habitants suite à une éruption, une épidémie de maladie infectieuse et des pluies acides. Quant au reste du monde, cette jolie carte viendra rassurer tout le monde : non, La Réunion n’est pas l’endroit le plus dangereux de la planète, “risque requin” ou pas.

 

Ça date de 2015, l’année de sortie du livre. Ils ont quand même l’air d’avoir bien plus chaud aux miches aux alentours du Sahara qu’à La Réunion.

 

Dans la deuxième partie du livre – même si on y a eu droit avant, l’auteur devient économiste et affirme ainsi, sans sourciller, que la “crise requins” était une catastrophe pour le tourisme (“J’avais beau leur expliquer que, par répercussion, nous allions perdre toute attractivité touristique et que l’ensemble de la population créole allait en pâtir.”) se basant notamment sur une étude assez complète de 2014. Sauf que cette étude fait un constat, en 2014. Et que les affirmations de l’auteur du livre, prédisant l’apocalypse sur le tourisme réunionnais et même l’économie locale en général (du genre “En attendant, priver une île, dont la dignité économique dépend du tourisme, de ses loisirs nautiques conduisait à l’enfoncer au plus profond des océans, en aggravant le chômage, la précarité, la pauvreté, tout en augmentant la dépendance aux aides publiques.” ) n’ont pas eu lieu, et c’est peu de le dire. Il ne s’agit pas de nier que les attaques de requins n’ont pas eu des répercussions sur le tourisme, ou même sur les commerces liés directement aux activités nautiques. Mais de les relativiser.

Jetons d’abord un œil aux chiffres du tourisme.

 

Tableau issu de l’Observatoire du Tourisme

 

Ils sont gênants, pour l’auteur du livre. Ils montrent en effet une baisse des flux à partir de 2011, qui culminera en 2014. Mais dès 2015, la fréquentation remonte, ce qu’on ne lit pas dans le bouquin, pourtant sorti à la fin 2015 (disons qu’il n’avait pas eu les chiffres en mains). Et alors que les interdictions de surfer, notamment, sont toujours en cours aujourd’hui, les chiffres de fréquentation ont battu tous les records en 2017 : il faut donc être clair, au contraire de ce qui est affirmé, La Réunion peut tout à fait s’en tirer au niveau touristique sans le surf. Quant au fait d’affirmer, comme l’a fait un collectif de professionnels du tourisme en 2013, et repris dans le livre, que la situation allait être pire que lors de la crise du chikungunya, c’est n’importe quoi : en 2006, la fréquentation était tombée sous les 300 000 visiteurs.

 

Pas vraiment la “catastrophe” annoncée…

 

Maintenant, un œil sur l’économie générale. Là encore, faire croire que la “crise requins” allait être une catastrophe pour l’économie de La Réunion en général, c’est une belle farce. Les baisses du PIB, à La Réunion, sont en effet liées à bien d’autres facteurs (notamment les crises mondiales). On pourrait même remarquer que la baisse de 2011 est moins forte que celle constatée dans l’ensemble du pays… et que la courbe remonte franchement à partir de 2013. Si, en effet, la “crise requins” a eu un impact sur l’évolution du PIB à La Réunion, eh bien, ce n’est pas très visible.

 

 

Allez, un coup d’œil sur l’emploi. Là encore, ç’a augmenté. Là encore, la “crise requins” n’a pas été le cataclysme annoncé.

 

 

Sur le sujet, nous n’irons pas jusqu’à dire que l’auteur a menti. Simplement qu’il aurait pu prendre quelques pincettes, et mieux s’informer. C’est-à-dire chercher des sources. Le problème, comme nous allons le voir par la suite, c’est que monsieur Nativel refuse les avis des personnes formées pour donner des informations, bref : qu’il veut avoir raison.

Loïc Chaux