“Nous, on ferme notre gueule, on fait notre taf. On aimerait juste être respectés.”

Suite à la demande de plusieurs lecteurs, dont certains affirment que la personne interrogée et ses propos ont été inventés, nous republions ici notre article, afin qu’ils puissent porter plainte contre Le Tangue en diffamation dans les trois mois suivant sa parution. Article initialement paru le 29/07/21.

 

 

L’épidémie de Covid n’existe pas. Les services de réanimation saturés par le Covid, c’est faux. Et au pire, aller en réa, c’est pas la fin du monde. Et s’il y a bien du Covid, c’est juste une grippette.

C’est bien d’aller raconter ça à la télé : y aura toujours quelqu’un chez Réunion 1ere ou Antenne Réunion pour vous écouter sans vous contredire. En revanche, petit conseil : n’allez pas déverser ce genre d’idioties au service de réanimation de Bellepierre. Vous pourriez vous prendre une droite.

Chez celles et ceux qui bossent à sauver les malades du Covid, ça commence à bouillir. Marre d’entendre des conneries, marre de se faire traiter de collabos et de menteurs. Un infirmier du service de réanimation polyvalente du CHD nous a contactés pour nous parler de son quotidien. Nous l’avons donc interrogé, longuement.

 

Alors, vous vous la coulez douce, en réa ?

Franchement, on se fait défoncer. Dans une journée normale de réa, ça peut arriver, de ne même pas avoir le temps d’aller pisser, parce que le patient peut se dégrader d’un coup. En ce moment, c’est tous les jours, ce genre de journée se répète sans cesse. Si on ouvre des lits, c’est bien qu’on est débordés, on n’est pas assez.

Là, je dois bosser bientôt deux jours, ma cadre m’a appelé pour me demander de bosser le troisième. Je vais faire 36 heures en trois jours. Je sais que les six dernières, je serai au radar. On tient aux nerfs, à l’adrénaline, on va au charbon parce qu’on kiffe notre boulot. On ne se plaint pas. Mais on n’est pas des surhommes. 

 

Ça dure depuis le début de l’épidémie ?

Pendant la première vague, le confinement, l’année dernière, le service était vide… Puis ça a redémarré tranquillement au déconfinement, et ça a commencé à chauffer avec les Evasan (évacuations sanitaires, les patients en état grave évacués de Mayotte vers La Réunion, NdT). On en recevait deux par jour, ils étaient stables, mais ça faisait du boulot. Aujourd’hui, sur trente-huit lits de réa, on en avait trente ou trente et un d’occupés par le Covid (l’entretien a été réalisé le 28/07, NdT). La moyenne d’âge ? Quarante-neuf ans. Il y a des trentenaires. Ce que je peux te dire, c’est que là, ça touche tout le monde.

 

Entre soignants, comment vous voyez la suite, les jours prochains ?

On est en train se dire : “Ce serait quand même drôle si on devait faire des Evasan vers Mayotte…” Vu le flux tendu, c’est pas impossible. Si ça arrive, je peux te l’assurer : il y aura la queue devant les centres de vaccination. Pour les Réunionnais, à mon avis, c’est inconcevable de se faire évacuer vers Mayotte parce qu’il n’y a plus de place à La Réunion. Là, ils iront se faire vacciner.

 

Vous êtes vraiment en tension ?

C’est simple : sur les dix lits de mon unité, j’avais dix Covid. Y en a deux qui sont sortis le matin, ils étaient de nouveau remplis cet après-midi. Tout de suite remplacés. Le problème, il est simple : est-ce qu’on va moins s’acharner, pour faire de la place ? Là, ce sont les critères des choix, qui changent : on a besoin de place, et on ne peut pas pousser les murs. C’est chaud, là, clairement, j’aimerais pas être à la place de mes chefs. 

 

Justement, les médecins, les chefs de service, comment ils vivent la situation ?

J’ai noté qu’ils avaient un discours de plus en plus radical sur les vaccins. Il y a un mélange de dépit et de colère, notamment auprès des proches de malades qui ne sont pas vaccinés. “Mais qu’est-ce que vous comprenez pas ? C’est la seule solution pour que vous ne finissiez pas ici, et vous vous vaccinez pas ?” L’empathie, qu’on devrait tous avoir envers tout le monde est en train de diminuer. Pour les trois quarts, on est blasés de la connerie ambiante.

 

Dans le service, vous êtes vaccinés ?

Tu rigoles, là ?

 

La question de la vaccination semble se poser chez des soignants…

Nous, on sait ce que c’est, la réa. C’est hyper violent. Alors, oui, tous les médecins sont vaccinés, la majorité des soignants le sont. Il y a quelques personnels qui ne le sont pas, mais on ne va pas au clash, on évite de cliver des équipes qui doivent rester soudées, on évite le sujet. Mais moi, je ne comprends pas comment des gens qui travaillent ici, qui voient ce que le Covid peut faire, ne vont pas se faire vacciner. Le vaccin, pour l’instant, on n’a que ça. Point.

 

Il y a des gens, dans la rue, qui manifestent contre les vaccins, pourtant. Même des soignants. Même des médecins.

On a tellement envie de les défoncer…

 

Dans une interview sur Antenne Réunion, le docteur de Chazournes assurait que “C’est le boulot d’un service de réanimation, d’être en tension.” Il met souvent en doute la réalité de la gravité et de l’ampleur de l’épidémie.

Quel gros blaireau. C’est un médecin généraliste, il a jamais vu un service de réa, ou peut-être dans ses études. Mais il a le pouvoir de la blouse blanche. Aux yeux du public, c’est un médecin, alors des gens écoutent ce qu’il dit. Les autres, là, ils ont pas vu un patient Covid non plus. C’est pas des médecins en réa, que tu vois à la télé ou manifester contre les vaccins, hein… En ce moment, les médecins en réa reçoivent des protocoles de prise en charge qui proviennent d’études du monde entier, tous les efforts sont mutualisés au niveau mondial, c’est dingue. Les plus grands cerveaux réanimateurs travaillent dessus, cherchent, étudient. Alors, l’avis d’un orthopédiste du Port ou d’un néphrologue de Saint-Denis…

Nous, on ferme notre gueule, on fait notre taf. On aimerait juste être respectés.

Si ça se trouve, les prochaines entrées Covid en réa, ce seront des gens qui manifestaient contre les masques, contre les vaccins… Eh ben, on les soignera quand même. 

 

C’est pas, justement, votre erreur, d’avoir “fermé votre gueule“, et d’avoir laissé la place aux mensonges de Chazournes, Bourgeon, Bentolila ?

Tu as peut-être raison. C’est pour ça que la première ligne, nous, les soignants confrontés à l’épidémie, on doit l’ouvrir, maintenant. On en a marre de se faire marcher sur les pieds… 

 

Un peu tard, non ?

Mais on est des soignants, on n’est pas des communicants. Chazournes, c’est bien, il fait le buzz. Mon chef de service en réa, lui, il bosse. T’as des médecins, ils font vingt-six heures de garde, ils rattaquent le lendemain, tu crois qu’ils ont envie d’aller à la télé ? Tu crois qu’ils ont le temps, pour ça ?

 

Quand vous avez des manifestants qui mettent en doute la réalité de l’épidémie, vous le vivez comment ?

Ils mettent notre parole en doute, on est traités de collabos, de vendus… C’est bon, là. Faut qu’on parle. Il faut qu’on ait un écho, nous, qui sommes directement confrontés au quotidien des patients covidés en réa.

 

Les gens ne se rendent pas compte, de ce qui se passe en réanimation ?

J’entends des gens dire “Oui, bon, au pire, on ira en service de réanimation, et puis voilà…” Mais viens pas en réa ! T’as des mecs qui sortent de là, à quarante-cinq ans, dans des états… La réa, c’est ultra-violent. Pour le corps, les familles, les soignants… Et pour éviter la réa, c’est le vaccin. Toute chose mise à part.

 

C’est-à-dire ?

Faut pas s’étonner, si aujourd’hui, les gens croient pas à ce que raconte le gouvernement sur les vaccins, le Pass sanitaire, depuis le temps qu’il nous raconte de la merde… Moi, j’ai pas confiance dans le gouvernement, qui raconte n’importe quoi depuis le début. Un n’importe quoi qui vient s’ajouter à la déliquescence du service public, aux lits qui ferment… Si y avait eu assez de lits, on les aurait passées, ces vagues ! Mais la vaccination, c’est autre chose. Le débat sur le service public, sur l’hôpital, sur les soignants, on verra plus tard. A la fin du premier confinement, quand on réclamait des lits, des infirmiers, devant l’ARS, y avait qui ? Je demande pas qu’on nous soutienne, juste qu’on ne parle pas à notre place, et qu’on se rende compte de ce qui est en train de se passer.

 

Propos recueillis par Loïc Chaux

 

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