Fâchés ET fachos

On peut continuer à mettre le vote Le Pen uniquement sur le compte de la colère. Ou alors, ouvrir aussi les yeux sur les discours xénophobes qui gangrènent La Réunion d’aujourd’hui.

 

Dans quel monde vivent-ils ? “Ce n’est pas un vote d’adhésion“, affirme l’ensemble de la classe politique réunionnaise, au lendemain du deuxième tour de la présidentielle, où la candidate d’extrême-droite a récolté le vote d’un Réunionnais en âge de voter sur trois, quasiment 60% des bulletins exprimés. 217 000 voix hier, contre 140 000 il y a cinq ans. Pas un vote d’adhésion, quand toujours plus de Réunionnais décident, volontairement, de déposer un bulletin d’extrême-droite, quand elle arrive en tête dans toutes les communes ? Si ça se trouve, les Réunionnais sont assez grands pour voter selon leurs convictions, et pas juste pour bouder.

Faut descendre un peu voir les gens. C’est une blague récurrente : Le Tangue, il fréquente les bistrots. Ben justement, on a bien fait, parce que les gens, là-bas, ils ne disent pas qu’ils vont voter pour Le Pen pour emmerder Macron, non. Beaucoup votent Le Pen parce qu’ils sont d’accord avec Le Pen. Pas tous, très certainement, mais quand même, hein, les Mahorais, ils foutent le bordel,  et avec Le Pen, y aurait pas eu de passe sanitaire, et les autres, de toutes façons, ils sont tous pourris. 

Le Pen à 60%, et nos chers élus continuent à sortir les mêmes conneries. Et gnagnagna, “vote de protestation”. Et gnagnagna, “vivre ensemble”. Et gnagnagna, “on a compris”. Elle faisait 40% en 2017, on entendait déjà les mêmes discours. Ils ont fait quoi, les élus ? Rien. Ils ont fermé les yeux sur une partie de la population qui reprenait les thèmes de l’extrême-droite. Ils n’ont pas voulu voir la gangrène. On peut pas êtres racistes, nous, hein, y a des mosquées à côté des églises, et on mange des samoussas et des bouchons.

La xénophobie décomplexée lors de l’épisode des paillotes, en 2018, où les serveurs créoles du Coco Beach se faisaient traiter de collabos ? Le déferlement de haine, lors de l’arrivée de migrants sri-lankais ? Les discours anti-mahorais et anti-comoriens, qui ne mettent jamais longtemps à émerger au détour d’une conversation ? Ça a pas dû exister, puisqu’aucun responsable politique n’a jamais pris le problème à bras le corps, se contenant de communiqués tièdes ici ou là. 

 

Un discours xénophobe décomplexé.

 

Du coup, les miasmes de l’extrême-droite ont pu proliférer, pépère. Les antivax ont pu reprendre les thèmes des complotistes bruns, parler de nazisme et d’esclavage, sans qu’aucune figure intellectuelle réunionnaise s’en émeuve. Des éditos ont pu être écrits, où immigration, Mahorais et insécurité étaient liés, sans que personne ne réagisse. Mieux encore : le maire de Saint-Benoît a pu désigner des membres des communautés mahorais et comorienne comme responsables de faits de violence dans un silence assourdissant. Jean-Jacques Morel a pu embrayer sur la suppression de la CAF, thème cher à l’extrême-droite. Un nombre inédit d’élus a parrainé le Rassemblement national, des croix gammées ont été peinturlurées à L’Entre-Deux, un député LFI n’a pas appelé à votre contre Marine Le Pen, contre l’avis du parti, et l’évêque a passé ces dernières années à prendre des positions extrémistes. Le rougail saucisses est devenu un thème identitaire, et certains s’amusent à scruter les origines ethniques des teufers. Marine Le Pen a pu venir se balader à La Réunion sans rencontrer aucun opposant, se faisant même servir la soupe par Coindin, alors qu’il y a dix ans, la gauche locale lui pourrissait sa visite. 

Que le vote pro-Le Pen soit l’expression d’une colère, allez, pourquoi pas, au final. Sauf que la colère peut s’exprimer de bien des manières. En ne foutant pas les pieds dans un bureau de vote, par exemple. Hier, le RN a gagné 130 000 voix, par rapport au premier tour. Des gens fâchés, sûrement. Pas gênés non plus pour voter facho. 

La rédaction du Tangue