La Réunion est à vendre

Entamé dans les années soixante, le processus de “franchisation” de l’espace public réunionnais s’accentue toujours plus. On attend avec impatience Zara et Starbucks.

 

Paul. Burger King. VaPiano. Nicolas. Mac Do. Le Barachois, à Saint-Denis, ressemble désormais à n’importe quelle grand-place de ville moyenne de France, voire du monde occidental : des franchises internationales viennent, peu à peu, occuper des lieux historiques réunionnais, vendre une bouffe uniformisée, dans des décors standard. S’il ne restait pas le Rallye et le Roland-Garros, on pourrait se croire n’importe où ailleurs dans le monde : espérons que ces deux-là ont les reins solides.

Le tournant ? Sans doute en 1961, lors de l’ouverture du premier Prisunic à La Réunion, rendant, peu à peu, les boutiques chinoises obsolètes. Une marque présente dans toute la France venait occuper un bâtiment du centre-ville, et c’était parti, la “franchisation” de La Réunion était lancée. KFC, Virgin MégaStore, Intersport, Celio, Tati… Petit à petit les commerces de centre-ville aux noms bien locaux ont donc laissé place à des franchises nationales et internationales, souvent tenues, malgré tout, par les mêmes familles locales. N’empêche : l’uniformisation était en marche.

A Saint-Paul, l’emblématique hotêl Laçay a été rénové par de l’argent public… pour y installer un franchisé allemand qui fait de la bouffe italienne (!), VaPiano. A Saint-Denis, le Mac Do occupe d’anciens magasins du port et l’artère historique de Saint-Pierre, la rue des Bons-Enfants, est accaparée par les Promod, Orange et Jules. Pas besoin de chercher bien loin la cause du phénomène : l’explosion du prix des loyers dans les centres urbains ont mis de côté les petits commerçants locaux, puisque seules de grandes marques peuvent désormais assumer les coûts mensuels. 

A La Réunion, on peut donc manger la même baguette qu’à Taiwan, les mêmes frites qu’à Paris, porter le même futal qu’un Hong-kongais, fabriqué dans des pays pauvres. Les logos présents dans les rues réunionnaises sont les mêmes qu’à Lyon, Budapest ou Bakou. La mondialisation n’a pas seulement changé nos habitudes de vie, amenant la création des américain-gratinés et des courses de bagnoles. Elle rogne, petit à petit, l’aspect visuel de La Réunion, jusque dans ses lieux les plus chargés d’histoire. Alors, quand Philippe Lariche, qui a amené MacDo, Quick, puis Burger King, annonce désormais l’arrivée d’une autre franchise américaine vendant du poulet frit, le problème n’est pas tant qu’une nouvelle enseigne va encore venir nous vendre du cholestérol en menu. C’est surtout qu’on va manger, encore, des plats dont les “process” de fabrication ont été uniformisés à l’extrême à l’autre bout du monde, dans un environnement visuel mondialisé, où le temps de travail des employés est rationalisé à la seconde près. Un Starbucks au lazaret de la Grande-Chaloupe, un Zara à la Maison Folio ? Au point où en est : les politiques n’ont jamais fait grand chose pour ralentir le phénomène. La Réunion est bel et bien à vendre.

La rédaction du Tangue

 

Pub : pour rédiger cet édito, nous avons consulté le superbe livre de Bernard Leveneur, Le Barachois – Saint-Denis sur mer, 1733-1963, encore en vente dans les librairies. Pour se souvenir comment c’était, le Barachois, avant Paul et les autres.