Salauds de pauvres, de vieux, de malades

KFC ? Les gros ont qu’à pas y aller. Les morts du Covid ? Des diabétiques et des vieux, z’avaient qu’à faire attention. A La Réunion se joue en ce moment une petite musique à base de “moi je” à laquelle les politiques feraient bien de prêter l’oreille, sous peine de voir définitivement éclater notre semblant de “vivre-ensemble”.

 

Y a qu’au Tangue, qu’on sent que ça pue ? Mais sévère ?

En général, on prévoit plutôt bien les réactions que vont provoquer nos articles sur les réseaux sociaux. On s’y prépare. Mais cette semaine, on est tombés des nues : notre article sur l’ouverture d’un nouveau fast food à La Réunion nous a offert un flot de commentaires… en faveur de la multinationale spécialisée dans la vente de gras.

 

 

Nos confrères qui ont produit quelques articles critiques sur KFC ont vu, eux aussi, arriver des commentaires pour défendre l’entreprise, sur le mode “les gens ont qu’à pas y aller“. Dingue. Et on a vérifié, il ne s’agit même pas de faux comptes qui auraient pu être créés par l’enseigne pour contre-attaquer sur le plan de l’a com’, mais bien de Réunionnais préférant tirer à boulets rouges sur leurs compatriotes plutôt que sur une entreprise venue faire de l’argent sur leur dos. 

Cette réaction n’est pas isolée. Que n’a-t-on pas lu, sous les vidéos montrant des Réunionnais tentant de récupérer des langoustes en promo, des files d’attente devant les MacDo à la fin du confinement… La stratégie commerciale des grandes surfaces, reposant sur l’alcool et les promos pour piéger les consommateurs ? Les campagnes de com’ à coups de millions pour créer un besoin de la part des grandes marques ? Mais non, c’est le p’tit Réunionnais, l’imbécile !

Mais sur qui tape-t-on, en fait ? Les pauvres, tout simplement, encore, et toujours. Les études sociologiques le montrent : qui va dans les fast food ? Qui se rue sur les promos de Nutella ou de bichiques ? Les pauvres. Au lieu de s’interroger sur les mécanisme socio-économiques qui poussent les plus fragiles d’entre nous à adopter des comportements qu’ils méprisent, nos commentateurs préfèrent leur taper dessus. Les gros zozos se frottent les mains et encaissent la monnaie.

Les anti-vax locaux, qui ne sont plus à une ignominie près, suivent le mouvement. Pas en s’attaquant directement aux pauvres, certes, mais en montrant du doigt les plus faibles. C’est une particularité réunionnaise, liée à l’état sanitaire de notre population : huit réunionnais hospitalisés sur dix des suites du Covid présentent des comorbidités. Le raccourci est donc simple, pour nos conspis locaux : c’est le diabète, les maladies cardio-vasculaires, qui tue, et pas le Covid. Les morts avaient qu’à moins bouffer, moins fumer, moins boire. Nouveau schisme : je vais pas faire un effort pour protéger les autres, z’ont qu’à faire gaffe. Et ce même si, encore, les comorbidités augmentent en fonction du taux de pauvreté dans les pays riches, qu’elles sont encore une fois les conséquences de facteurs socio-économiques étudiés et prouvés. Moi, je vais bien, mes gosses risquent rien, démerdez-vous : c’est sûr que les leaders anti-vax, petits-bourgeois locaux, n’ont pas grand chose à craindre du Covid.

Et dire que La Réunion serait une terre de “vivre-ensemble”. Le Tangue a déjà eu l’occasion de s’alarmer des coups portés à cette notion gnangnan par les politiques de tous poils. Et si le vrai problème réunionnais, au moment où nous écrivons ces lignes, était celui des forts écrasant les faibles, cette culture du “Moi je“, récente à La Réunion, mais qui s’étend sournoisement ? Vous le sentez, ce vent mauvais ?

Le Tangue