Au moment où elle passait l’arme à gauche, l’éléphante de mer a (presque) accordé un entretien au Tangue.
Avant toute chose, on doit vous appeler comment ? Y a eu du Bibi chez Imaz Press, Noëlle chez les autres, on est un peu perdus.
“La dernière fois que j’ai vu mes parents, avant qu’ils finissent étouffés en bouffant un sachet Carrefour, ils m’appelaient Christine. Mais Noëlle, ça me va. Remarquez que j’ai du bol : j’aurais débarqué le 14 juillet, sur FreeDom, ils auraient voulu m’appeler Fêtnat.
Qu’est-ce que vous êtes venue faire chez nous, alors ?
Attends, attends. Je suis un phoque, je me promène dans l’eau. J’ai des comptes à te rendre ?
Non, non, c’est pour savoir…
Voilà. Je nageais dans le coin, j’ai vu une île, je suis passée m’y reposer, c’est ce qu’on fait, nous, les phoques : on nage, et on se repose. Mais sois sûr que si j’avais compris où j’étais tombée, j’aurais trouvé un autre caillou…
Ça s’est mal passé ?
Attends. Je débarque le premier jour, tranquille, je me retrouve au milieu de cailloux en forme d’étoiles de mer, jamais vu ça (elle parle sans doute des tétrapodes de la Grande-Chaloupe, NdT). Impossible de me caler tranquille. Sont passés où, vos galets ? Bref, y a deux trois-types sympas, de chez vous, qui me mettent de l’eau sur le cou, ça me fait du bien, je me barre. Je me dis que je ferai une autre pause plus loin : je me retrouve dans un truc, y a même plus de galets, de rochers, un sol tout lisse et dur, qui pue, avec des bouteilles en plastique et des trucs dégueulasses un peu partout…
Ah, oui, vous étiez au Port (1)…
Oui, ça doit être ça. J’étais vraiment HS, j’ai un peu squatté, au milieu des détritus. Vous faites jamais le ménage, là-bas ?
Ah, ben c’est sûr que le port du Port, c’est pas ce qu’on a de plus joli…
Je finis par reprendre la forme, et je continue à descendre. Là, impeccable, je me trouve une petite plage sympa, avec des galets, des poissons, d’autres types sympas qui essaient de faire en sorte qu’on vienne pas m’emmerder, le kif. J’alterne bronzette et baignade, j’ai la paix. Jusqu’à y a une semaine.
Ah oui, le coup de l’hameçon…
Je vais pour croquer un en-cas dans la mer, j’ai quand même bien droit à un casse-croûte. Et v’la-t-y pas que je me retrouve avec un machin de vingt centimètres, dur et froid, planté dans la joue ! Non, mais c’est quoi, ce pays ? Vous avez vu le bordel que vous laissez partout ?
C’est vrai que, des fois, on s’étale un peu, et on laisse traîner deux-trois trucs dans l’eau…
Gros dégoûtants, oui ! Heureusement, vous avez quelques gens sympas, ici. Je sais pas qui c’est (Christine veut sans doute parler de l’association Globice, qui a fait son possible pour préserver l’animal, NdT), mais ils m’ont sorti ce truc de la gueule. Ça fait des aphtes, mais j’en ai vu d’autres.
Et aujourd’hui, vous voilà encore mal en point.
Je vais crever, c’est aussi simple que ça. Cette fois, je suis emberlificotée dans une sorte de truc, là, j’arrive plus à remonter à la surface. Je suis juste en train de me noyer, mec. C’est pas marrant : me faire bouffer par un orque, m’étouffer avec une arrête de poisson, ok, c’est le jeu quand on est un phoque. Mais ça… .
J’ai croisé une tortue, hier, qui squatte dans le coin, qui m’a dit de faire gaffe à deux trucs : aux bateaux, parce que les trois quarts de sa famille se sont fait découper en rondelles par eux, et aux “filets“, qu’elle m’a dit. Paraît que vous avez foutu ça là pour vous amuser dans l’eau. J’espère que vous vous amusez bien.
Vous comprenez, on a une économie à faire tourner, nous, faut bien que les gens puissent pêcher, se baigner, en toute sécurité. On a des restos, des hôtels, des charges à payer et une économie à faire tourner… Vous savez pas ce que c’est que le chômage, vous !
Cool. J’espère que je vais pas trop gêner votre petit commerce.
On sent que vous n’êtes pas trop satisfaite de votre escale à La Réunion…
C’est sûr que vous allez avoir une sale note sur Trip Advisor, comptez sur moi. De toutes façons, c’est pas nouveau…
Ah oui ? Ça commence à se savoir, chez les animaux, que La Réunion est peu accueillante ?
Ben tiens. Allan, tu te souviens ? Il fout plus les pieds chez vous. Méréva, qui vient mettre bas dans le coin ? Obligée de foutre des coups de boule aux plongeurs pour avoir la paix. Et Patrick, vous vous souvenez de Patrick ?
Ah non…
Patrick, le requin blanc ! Il s’appelait Patrick. Bref : il vient se promener chez vous, il finit buté par un pêcheur. En 2006, y avait eu flamant rose qui était passé, aussi, y a des rigolos qui l’avaient tué à coups de bâtons. Celui de l’année dernière, clamsé après s’être fait choper dans un bassin d’Ileva. C’est pas compliqué : dès qu’il y a un animal un peu rare qui passe par chez vous, vous le zigouillez.”
1. Comme un lecteur nous l’a fait justement remarquer, il ne s’agissait pas du Port, mais de La Possession. Où c’est finalement tout aussi dégueulasse…
Propos (presque) recueillis par Le Tangue
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Ou je file un p’tit pourboire. Ou un gros, si vous en avez les moyens.
Cette interview est une parodie. Tous les propos tenus sont inventés, et toute ressemblance avec la réalité ne saurait être que fortuite.