Le zinc du Zanzibar : “Je veux qu’on me postillonne dessus !”

Le Tangue a (presque) interviewé le zinc du Zanzibar, (presque) notre endroit préféré de La Réunion, dont on n’avait plus de nouvelles depuis deux mois.

 

Dis donc, tu colles moins que d’habitude, mais t’es couvert de poussière…

“Qu’est-ce que tu veux : ça fait des semaines qu’il y a plus un godet qui se renverse sur moi, et que je vois plus personne. Je me laisse un peu aller, c’est vrai.

 

Le Covid, ça doit te reposer, un peu, non ? 

Mais j’ai pas envie de me reposer ! Tu crois vraiment que je suis content, de plus entendre de conneries sur la politique ou le foot ? Tu crois que ça m’amuse, de plus avoir de pintes sur le dos, de mecs qui s’accoudent sur moi et de filles qui viennent siroter leur verre de pinard en racontant leurs histoires de mecs ? 

 

Tu as dû en voir et en entendre, des choses…

T’as pas idée. Des petits couples qui s’aiment, d’autres qui se séparent. Des poivrots qui s’engueulent sur les modèles de bagnoles, des gens seuls qui viennent contre moi parce qu’à la maison, personne les attend. Des messieurs bien habillés, qui viennent lire le journal, des ados qui achètent leur première bière, en mettant du sirop dedans… Des groupes qui jouent aux cartes, des types qui passent la soirée à dire “Allez, la dernière, après je rentre, je vais me faire engueuler.” Ils sont où, tous ceux-là, hein ? Paraît qu’ils peuvent plus venir me voir. 

 

Tu as quand bien été malmené, des fois, non ?

Mais je veux qu’on me renverse de la bière sur la tronche ! Je veux qu’on me postillonne dessus, même si c’est pour dire que le monde, c’est de la merde ! Je veux qu’après un repas entre copines, il me reste des miettes sur le dos ! Je veux que les serveuses continuent à se pencher sur moi pour me nettoyer, parce que je suis tout collant ! Qu’on me danse dessus ! Qu’on me brûle par mégarde avec une clope ! On m’a créé pour ça, après tout : réunir autour de moi tout un tas de gusses qui n’ont rien à voir, mais qui, le temps de quelques heures, partagent le même petit espace. Y a plus personne, là ? Je sers à quoi ? Je suis pas qu’un meuble, mon pote.

 

Vous vous donnez quand même pas mal d’importance, non ?

C’est que tu sais pas ce que c’est, un bistrot. On s’y donne rendez-vous pour un rencard, pour discuter avec les serveurs, pour conclure des affaires. On vient y manger un morceau pour pas avoir à se faire à bouffer, pour voir des têtes qu’on a pas croisées depuis longtemps, ou d’autres qu’on n’a jamais vues. Le bistrot, c’est plein de personnes rongées par la solitude, qui se réunissent là, pour se tenir chaud. Celles-là, depuis deux mois, à 18h, une fois le boulot terminé, elles sont chez elles, à caresser le chat et à mater Netflix. Tu crois que je vais les revoir avant qu’ils se soient ouvert les veines ? Demande-leur, si je sers à rien.

 

Ah, là, vous marquez un point. On se revoit bientôt ?

Ben je vais faire comme toi, comme tout le monde. Je vais écouter le préfet, plein d’espoir. Je vais regarder le nombre de cas positifs, mon cœur va s’emballer quand ce nombre diminuera. Je reprendrai un peu de baume au cœur quand ça s’arrangera. On se revoit bientôt ? J’en sais rien. Mais j’espère. Rester seul, c’est pas une vie de zinc, ça.”

 

Propos (presque) recueillis par Le Tangue

 

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