Feignasses de fonctionnaires

Comment faire avancer le schmilblick plus vite que ces fainéants de fonctionnaires qui branlent rien ? Ben en privatisant à tout va, tiens. Avec cette technique imparable : les faire passer pour des couillons. 

 

Au Medef, c’était champagne. Annick Girardin a annoncé, il y a un an, la privatisation du greffe du Tribunal de commerce gérant le registre du commerce et des sociétés, notamment la partie s’occupant des KBIS : “L’annonce ce vendredi 25 mai 2018 de la création d’un greffe privé pour les tribunaux de commerce de Saint-Denis et Saint-Pierre, au plus tard en janvier 2018, laisse présager une réduction considérable des délais d’obtention des Kbis mais aussi l’accès à la plateforme numérique Infogreffe, qui permettra aux entrepreneurs d’effectuer leurs démarches en ligne.” Et si on vous parle de ça maintenant, c’est que deux nouveaux greffiers viennent d’arriver pour s’occuper des KBIS, sortes de Batman et Robin de la paperasse. Mais attention, c’est pas du privé, c’est une “délégation de service public“, mais enfin, comme Girardin avait bel et bien parlé de privatisation, et le Medef aussi… Et puis, si vraiment tout cela restait dans le public, suffisait d’embaucher du monde au tribunal, non ? Ben non. Et Le Tangue est prêt à parier que, lorsque le suppositoire aura fini de glisser, les tarifs pour l’obtention du KBIS vont augmenter : dans l’Hexagone, les greffiers ont fait les canards pendant les “Gilets Jaunes”, mais ils sont en train de renégocier avec l’État les services qu’ils facturent. 

Cette histoire de KBIS (et Le Tangue est en plein dedans, il attend le sien depuis un an) est un cas d’école de ce que les gouvernements font depuis des dizaines d’années. On va utiliser la métaphore.

Imaginez que vous avez l’habitude depuis trente ans d’aller déjeuner dans une boutique. Ça fait trente ans que vous prenez un rougail saucisses, parce que vous aimez bien ça. Au début, c’était bien : saucisses de Salazie, avec des tomates du paysan du coin, des oignons pays, un grain fait de lentilles de Cilaos, le tout avec un rougail margoze. Le cuistot fait ça bien. Pour cinq euros, parfait.

Petit à petit, ça change. D’abord, on passe aux pois du cap, en boîte. Puis aux saucisses de Jumbo, les pas chères, fades et trop grasses. Ensuite, quelque chose nous dit que les tomates viennent elles aussi d’une conserve, que les oignons arrivent d’Inde, et que le tout est pimenté à la pâte. Une cuillère de piment la pâte. Le riz se met aussi à coller. Vous commencez à en avoir marre, vous pensez que le cuisinier est devenu un con, et vous allez voir le patron, qui vient tout juste de perdre encore des sommes pas possibles au Casino de Saint-Gilles : “Je n’ai pas le choix, tout augmente, pour conserver ma marge, j’ai dû acheter des produits moins chers… Et le cuistot, il faisait la gueule. Alors, je l’ai viré. J’ai pris un apprenti.” Vous, vous êtes un peu naïf, vous n’avez même pas remarqué qu’en fait, le prix des produits, au marché, chez les récoltants, n’avait pas bougé depuis trente ans, et que le cuistot, il a fait comme il a pu, avec ce qu’on lui a donné. Alors, vous le croyez, le patron du resto. “Si vous voulez manger aussi bien qu’avant, je vais devoir faire le rougail saucisses à 7 euros.” Or, ça fait tellement longtemps que vous vous êtes mis à manger de la merde que vous acceptez. “Je vais enfin pourvoir mieux manger !“, vous dites vous, content.

Maintenant, imaginez que vous venez de vous casser la cheville, que vous débarquez aux urgences de Saint-Pierre et que vous patientez des plombes avant de vous faire prendre en charge. Imaginez que vous attendez de recevoir votre permis de conduire depuis trois mois auprès de la préfecture. Que vous attendez votre carte grise depuis autant de temps. Que vous attendez votre KBIS depuis un an. Votre première réaction ? Mais bordel, ils branlent quoi, ces fonctionnaires ? Et l’État vous répond : “Mais on n’a plus de sous, mon pauvre ! On ne peut plus en embaucher, des fonctionnaires…” Vous, vous êtes un peu  naïf, vous n’avez même pas remarqué que des sous, il n’y en a jamais autant eu, que la fraude fiscale atteint des sommets, que les plus riches n’ont jamais été aussi riches. Alors, vous le croyez. “Si vous voulez être soigné aussi bien qu’avant, avoir rapidement vos permis, cartes grises, KBIS, on va tout mettre entre les mains du privé.” Pour votre cheville, vous allez donc chez Clinifutur. Le permis, la carte grise ? Chez les mecs du coin de la rue qui ont fleuri depuis cinq ans. Le KBIS ? Au greffe privé. Ça va vous coûter plus cher, mais vous aurez eu l’impression de gagner du temps, vu le bordel qu’il y avait avant. Mais comme à la boutique tout à l’heure, vous vous êtes bien fait enfler.

Alors, le greffe privé, une avancée, pour le KBIS ? Une sacrée entourloupe, oui.

Le Tangue