La petite Jade est morte, elle aussi. Et Malia. Et Kaïs. Et Lyam…

Chaque année, des enfants Réunionnais meurent par dizaines. Ils ne pratiquent pas de sport mécanique à l’étranger, n’ont pas de proches connus, et BFM TV s’en fout.

 

C’est terrible, un marmaille qui meurt. A cause d’un cancer, d’une chute dans une piscine, ou au cours d’une compétition de moto. C’est pas juste. Hélas, le cirque médiatique semble faire une hiérarchie entre les décès.

On imagine la petite Jade, huit ans. En mordillant un feutre, seule dans sa chambre, elle a avalé par inadvertance un capuchon, est morte étouffée. La petite Jade était passionnée de dessins, elle réussissait très bien les licornes, elle avait du talent. Ses parents étaient très fiers de ses petites œuvres, et c’est en faisant ce qu’elle aimait qu’elle est décédée. Mais Jade est morte comme beaucoup d’autres, à cause d’un accident domestique. Et ses parents ne fréquentent pas grand monde de connu : il n’y eut que des proches, pour les écouter raconter les souvenirs qu’ils ont de cette petite fille, et l’espoir qu’ils portaient en elle, l’imaginant devenir artiste.

Nous, quand on fait des gosses, au Tangue, c’est par trentaines, alors ces histoires, on a sûrement du mal à s’y identifier. Mais on imagine les parents de la petite Jade, ouvrant le journal, regardant la télé, et tombant sur cette histoire qui tourne en boucle, celle d’un petit Réunionnais de huit ans qui est décédé en pratiquant une course de moto. Eux ne pouvaient pas payer des courses de sport mécanique à leur marmaille, ne pouvaient pas l’envoyer en Italie pour rouler, et n’avaient pas de famille réputée dans le milieu du sport réunionnais susceptibles de trouver des sponsors pour la pratique d’un sport coûteux. Y a de quoi avoir le cœur serré, se dire “Mais attends, la mienne aussi, elle était passionnée, pleine de vie ! Y a pas de raison, faire de jolis dessins, c’est pas mal, aussi !

Le Tangue n’ira pas crier aux loups avec celles et ceux qui se demandent ce que faisait un enfant de huit ans sur une moto. C’est indécent, et complètement con d’expliquer aux parents comment éduquer les gosses en décrétant quelle activité il faut pratiquer, ou non.

En revanche, cette starification des marmailles – jusque dans leur mort, ici – commence à nous chauffer sévèrement les oreilles. On a donc Mathis, en ce moment. Mais on a aussi depuis des plombes un Soan qui fait des radio crochet, Louis André qui faisait du karaté, Lindsay du ski nautique, Enzo de la moto… Dont nos confrères parlent parce que les parents sont bien introduits dans la “haute” réunionnaise, et parce qu’ils ont une fâcheuse tendance à harceler les médias sur leurs moindres faits et gestes (1). A un âge où leurs marmailles devraient être en train de manger leurs crottes de nez et d’apprendre la règle de trois. Où la plupart ont des hobbies dans lesquels ils s’amusent, sans esprit de compétition, pour rigoler avec les copains. Où l’idée d’en faire un métier viendra plus tard, au cas où. Apprends ta réduction de fractions d’abord, on a infiniment plus besoin de scientifiques que de footeux.

On ne compte plus, depuis des années, ces soi-disant prodiges de telle ou telle discipline, partis loin de leur parents pour atteindre le plus haut-niveau d’on ne-sait-quoi, complètement disparus des radars, en échec scolaire et complètement paumés. On a des exemples dans le cyclisme, dans le foot, dans le basket… On fait des vedettes de marmailles dont la passion est avant tout celle des parents, obnubilés par l’infime minorité qui réussit et qui passe à la télé, quand l’immense majorité termine dans l’oubli le plus total. On l’oublie souvent, parce qu’on n’en parle pas trop : l’école reste le meilleur moyen d’apprendre et de s’épanouir. C’est pas très funky, mais c’est ainsi. Ce sont les jeunes Réunionnais qui ont participé au concours “Ma thèse en 180 secondes” qui devraient provoquer notre admiration, pas Jean-Michel je-passe-à-la-télé.

La petite Jade, elle, aurait peut-être juste continué à faire de jolis dessins, elle aurait peut-être fini par faire des études, trouver des amis, et juste à être heureuse. En devenant connue ou pas, riche ou pas, avec 50 000 followers ou aucun. Mais Jade, elle, on n’en n’a pas parlé, de son décès. Ce monde est farfelu.

La rédaction du Tangue

 

  1. En tant qu’ancien journaliste sportif au JIR, l’auteur de ces lignes se souvient très bien de ces papas nous abreuvant de mails et de coups de fil pour nous narrer les exploits de leur morveux prépubère à une obscure compétition internationale en Europe.