Les affaires, cadets de nos soucis ?

 

En 2014, Le Tangue avait jeté un pavé dans la mare. Sur deux pages du journal, nous avions rappelé, avec un mauvais esprit assumé, toutes les casseroles que les candidats têtes de liste aux municipales se traînaient. Depuis, les lecteurs ne cessent de nous le demander : “Vous refaites ça quand ?” Coquins.

C’est fait. Grâce à l’étude des archives de la presse locale et nationale, et en interrogeant nos sources bien placées, voici donc la cuvée “Municipales 2020” des sparadraps judiciaires collés aux doigts de beaucoup d’hommes et femmes qui briguent un mandat de maire en mars.

Nous avons été très surpris de constater qu’ils sont encore plus nombreux qu’il y a six ans… Ça ne surprend pas Damien Deschamps, maître de conférence de science politique à la fac : “Ça n’est pas étonnant, dans le sens où les moyens de la justice sur ces sujets ont été renforcés, la Chambre des comptes est montée en puissance… Il y a des affaires qui sortent, qui ne sortaient pas avant.” Philippe Fabing, directeur des études politiques chez Sagis, ne dit pas autre chose : “L’observation que vous faites, qui est réelle, n’est peut-être pas liée tant que cela à l’accroissement du comportement délictueux des élus, mais à un durcissement des contrôles et une augmentation de l’activité judiciaire à leur encontre. J’ai même tendance à imaginer que nous allons observer une diminution de ces actes.” Résumons : il n’y a pas plus de voyous qu’avant, c’est juste que désormais, ils se font choper.

N’empêche. Les casseroles sont là. Et ils se présentent. Et beaucoup seront élus. Serait-ce donc que les condamnations n’auraient aucune incidence lorsqu’il s’agit de rentrer dans l’isoloir ? Presque… “Pour l’électeur, l’action politique ne se résume pas à la faute”, dit Fabing. “L’électeur détermine son vote par rapport à de nombreux critères : la proximité idéologique, l’adhésion à un programme…, complète Deschamps. On peut prendre un exemple national : lors de la présidentielle, François Fillon se retrouve pris dans une énorme affaire. Pourtant, au vu des résultats, son socle électoral n’a pas bougé. Ses électeurs auraient sûrement hurlé si un adversaire avait eu les mêmes déboires ; mais dès lors qu’il s’agit d’une personne proche de leurs idées politiques, ça devient secondaire.

Évidemment, dans le cadre des municipales, les emplois municipaux ont aussi fonction de sacré levier : “Il y a une fonction de service, dans cette élection, incarnée par le maire. Même s’il n’a plus les moyens de le faire. Ici, ils sont pris dans une situation exceptionnelle en termes de chômage. Les emplois municipaux sont un des moyens qui existent pour compenser les difficultés quotidiennes des administrés. Et qui permet de mobiliser les électeurs les plus modestes… Les “entreprises municipales”, dans certaines communes, font partie des plus grands employeurs !

 

“Dans un contexte hors élection, des critères qui étaient essentiels deviennent moins prioritaires dans un contexte électoral, où là, il faut trancher.”

 

Nous sommes en février 2020. Un an plus tôt, des millions de Français habillés des gilets jaunes occupaient les ronds-points, réclamant des représentants politiques exemplaires. Ceux-ci n’auraient donc rien compris ? Damien Deschamps, encore : “Dans un contexte hors élection, des critères qui étaient essentiels deviennent moins prioritaires dans un contexte électoral, où là, il faut trancher.” Pour Philippe Fabing, “Ce n’est pas évident de remarquer une réelle influence des “Gilets jaunes” sur la probité des élus : les faits que vous relatez sont souvent antérieurs aux “Gilets jaunes”.

L’élection des maires est bien particulière. C’est encore le dernier personnage politique que les citoyens apprécient. Les affaires, les programmes, on s’en ficherait presque : on vote pour une personne. “De toutes façons, on voit beaucoup de convergences entre les programmes, remarque Fabing. Du coup, ces élections sont de plus en plus personnalisées, la personne devient le critère d’arbitrage. Les municipales ne sont pas toujours favorables à la mise en oeuvre d’une doctrine politique.

Et les candidats ont autre chose en tête, manifestement. Si les programmes de vos politiques chéris vous paraissent dénués de grandes visions, c’est que ces élection municipales réunionnaises sont en fait une sorte de répétition générale avant les régionales de 2021. Pour Fabing, les grands partis réunionnais s’observent, sortent les muscles : “Les municipales sont très instrumentalisées par les partis politiques. Elles jouent le rôle de jauges des forces des uns et des autres dans le cadre des négociations qui vont s’ouvrir dès le soir du deuxième tour dans la perspective de l’éventuelle recomposition des majorité départementales et régionales.

Le Tangue est taquin, mais il n’est pas, et loin s’en faut, démago. Avec ce poster, nous ne comptons pas verser dans le “Tous pourris !”, d’autant qu’une simple observation statistique vous permettra de voir qu’une majorité de candidats aux municipales n’a jamais eu affaire à la justice. Suffit de trouver ceux qui ne sont pas nommés ici.

Les casseroles, nous préférons en rire. Surtout, nous voulons faire en sorte que dans votre moment de solitude, dans l’isoloir, vous ayez une petite pensée pour le parcours judiciaire du candidat pour lequel vous êtes en train de voter.

Loïc Chaux