Dans le rapport demandé et publié par l’Observatoire des prix, des marges et des revenus à La Réunion, il est notamment question des producteurs locaux et de leurs faibles marges de manœuvre face aux produits extérieurs lorsqu’il s’agit négocier avec les grandes surfaces… malgré les effets d’annonce de ces dernières.
Peut-on appeler ça du “locawashing“, le fait de communiquer sur la vente de produits locaux, alors qu’au fond, ça nous en touche une sans bouger l’autre ? Peut-être bien. C’est en tous cas ce que semble pointer le rapport publié par l’OPMR, et dont nous avons commencé le compte-rendu ici. Il y est notamment écrit : “La mise en valeur des produits issus de la production locale est très relative, malgré les postures de communication des acteurs, au profit d’une large exposition des marques distributeurs importées, sur lesquelles ces derniers enregistrent des marges sensiblement plus importantes que celle atteintes sur les produits issus de la production locale.”
Pour comprendre comment les grandes surfaces rincent les producteurs locaux, il faut d’abord savoir que ceux-ci vendent leurs produits par l’intermédiaire de grossistes ou de centrales d’achats : le planteur de salades à Petite-Île ne va pas vendre directement ses salades au Carrefour de Saint-Pierre. Or, à chaque intermédiaire, une marge sur le produit est affectée ; comme un des principaux arguments de vente des grandes surfaces est le prix, les négociations sont serrées. Et le producteur local se retrouve dans un cercle vicieux, où il n’a pas l’avantage : 85% des biens alimentaires sont vendus en grande surface à La Réunion ; c’est donc le seul moyen pour le producteur pays de vendre ses produits, les circuits alternatifs étant quasi inexistants à La Réunion. Mais alors, il doit baisser ses prix, sinon, la grande surface ira voir ailleurs. Ailleurs à La Réunion ? Tu parles ! “Ils [les producteurs locaux] sont confrontés à des coûts de production élevés, leur outil industriel étant sous-exploité pour la plupart des acteurs par l’insuffisance de leur volume de vente. L’origine d’un tel déficit n’est d’ailleurs pas la taille du marché réunionnais, bien significatif quant à lui, mais beaucoup plus la concurrence des produits importés par la grande distribution et l’insuffisance de leur activité à l’exportation.”
Aucun n’ose parler, de peur de perdre le marché
S’il faut bien avouer que certaines marques locales tirent leur épingle du jeu – dans les bières, les conserves de légumes ou le lait, notamment – la plupart se cassent les dents. Prenez donc un pot de confiture d’une marque locale, et comparez-le avec son voisin d’une marque magasin. La marque magasin a profité d’achats de masse pour tout un groupe (Vindémia, Carrefour, Leclerc, etc.), et a donc pu voir son prix chuter. Et le vendeur de confiotes pays, lui, passe pour un type qui vend ses produits trop cher.
Du coup, les locaux doivent rentrer dans un jeu dangereux, pour espérer voir leurs produits s’écouler : celui des promotions et… des marges arrière (comme nous l’évoquions dans notre article précédent). C’est-à-dire réduire encore ses marges, tout en serrant les fesses pour que, sur la quantité, il puisse gagner un peu d’argent : “Le modèle économique de développement de ces acteurs de la production locale, est enfin très largement fondé sur la logique des promotions incessantes, comme sur celle des marges arrière, dans la relation commerciale avec la grande distribution, une logique dangereuse et aux effets pervers sur le comportement des consommateurs et en termes de paupérisation du marché.” Il semble que les producteurs s’en inquiètent, en sourdine, de ces pratiques, notamment des marges arrières trop importantes. Hélas, ils n’osent pas bouger une oreille : “La plupart des producteurs concernés s’en plaignent, sans pour autant agir pour dénoncer ces pratiques parfaitement illégales, craignant les mesures de rétorsion de la part des auteurs de ces pratiques.” On a parfois l’impression de lire une enquête sur la mafia.
D’autant qu’ils sont malins, chez les hypers : ils savent que les Réunionnais sont attachés à leurs marques. Alors, ils passent leur temps à faire des promotions dessus : “Une analyse précise la part de ces promotions dans le chiffre d’affaires des acteurs en présence a permis de montrer que s’agissant des distributeurs, cette part est de l’ordre de 15 à 30% seulement, là où cette part est de l’ordre de 40 à 90 % chez les producteurs et importateurs locaux.” Rincés, les producteurs réunionnais, qu’on vous dit !
Loïc Chaux