En Guadeloupe, Jégo le messie… mais non !

En 2009, la Guadeloupe avait manifesté, elle aussi, contre la vie chère. Et c’est Yves Jégo qui était allé transpirer.

 

Jégo avait fait deux voyages. Le veinard !

Ah, la plage du Gosier et ces autochtones qui vendent des cocos à boire ou de l’ananas. Ah, la Guadeloupe, pour les vacances c’est top. Et Kassav. Vous aimez Kassav ? Pour bien bouger en soirée c’est le must. Et cette chanson qui fait : “Zouk la se sel médicament nou ni.” Et si on traduisait ? “Le zouk c’est le seul médicament qu’on a. C’est comme ça.” Plus tôt dans ce titre sorti en 1996 Kassav pose la question qui appelle cette réponse  : “Pourtant vous savez que la vie est dure. Comment faites-vous pour tenir?” Toujours envie de danser ?

Début 2009, les Guadeloupéens ne se contentent plus de ce médicament qu’est la musique et un mouvement qui durera quarante-quatre jours naît sur l’Île. À l’origine de cette grève générale, le collectif LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon ou Lutte contre l’exploitation abusive) et son leader Elie Domota. Les revendications concernent la vie chère, mais pas que. Les demandes sont salariales et LKP exige un calcul du Smic sur le coût réel des choses. Les conditions de la vie font aussi partie des revendications. Amélioration des transports, de l’éducation, de l’offre culturelle. Des barricades sont dressées un peu partout. Le mouvement pleure aussi un mort : Jacques Bino, figure du syndicalisme abattu par arme à feu le 18 février 2009.

 

L’Outre-mer n’est pas une danseuse chère à entretenir

 

À cette date, les discussions ont débuté avec le gouvernement Fillon qui a mandaté Yves Jégo, alors secrétaire d’État à l’Outre-mer. Oui, les DOM-TOM n’étaient pas assez importants pour avoir un ministère à part entière et Jégo dépendait alors du ministère de l’Intérieur. Christiane Taubira, dans son costume de député de Guyane, remarque d’ailleurs à ce moment aux côtés du LKP: “À l’occasion du conflit guadeloupéen, la Métropole découvre que l’Outre-mer n’est pas une danseuse chère à entretenir mais un territoire oublié de la République ou plutôt un territoire spolié, miné par les pratiques frauduleuses, les positions de monopole et la concentration du pouvoir économique.” Jégo fera deux voyages. Le veinard ! “C’était pas banal de voir un ministre rester aussi longtemps, se souvient une ancienne journaliste de France Antilles. On a eu l’impression qu’il s’est rendu compte d’un certain nombre de choses. Ca n’a pas permis de changer la vie mais ça a été un tournant.

Au terme des discussions, un protocole de suspension du conflit est signé. Il comprend 165 articles et y est annexé l’accord Bino, du nom de Jacques, qui prévoit 200 euros en plus sur les bas salaires. La baisse du prix de produits de première nécessité est consentie. Bilan des courses neuf après ? L’accord Bino s’est effrité avec le temps et dépend désormais des accords de branche. “La somme touchée est variable d’une entreprise à l’autre”, note un syndicaliste. Dans son rapport 2017, l’IEDOM (équivalent de la banque de France Outre-mer) notait que 49 % des Guadeloupéens en 2014 gagnaient moins de 10 000 euros par an contre 23,4 % dans l’Hexagone. Un chiffre tout de même en baisse s’il est mis en perspective avec 2007. Ils étaient 52,6 % cette année là dans ce cas. L’indice des prix a eu la bougeotte et a continué de grimper en 2014 (+0,5 %), en 2015 (+0,3 %) et en 2016 (+0,1%). Les prix dans l’alimentation ont aussi fait quelques bonds. + 1,1 % en 2016 et + 1,9 % en 2015. Selon l’Insee le coût du panier était 12 % plus cher en 2016 en Guadeloupe par rapport à la Métropole. S’il n’est question que d’alimentation, cette différence est de 33 %.

S’agissant des revendications sur les monopoles, les traditions ont la vie dure de ce côté. En août dernier le sénateur Victorin Lurel aussi passé par la rue Oudinot, s’est inquiété du possible rachat du Géant Casino de Guadeloupe par Bernard Hayot qui possède déjà Carrefour… Ce qui serait une mauvaise nouvelle pour les prix.

Nicolas Goinard